Helga Stüber-Nicolas est née à Hanovre en Allemagne. Elle vit et travaille à Montpellier.
Helga Stüber-Nicolas développe, depuis des années, un travail autour d’un médium exclusif, le crayon de couleur, dont elle expérimente toutes les possibilités au travers de procédés parfois complexes, visant à faire apparaître dans ses oeuvres les traces des états successifs et des différents constituants de cet objet/outil.
Ce choix recouvre, sous l’apparente simplicité des dispositifs de départ, une exigence érigée en principe : faire apparaître et disparaître.
Dans son atelier-laboratoire, pas de tubes ou de pots de peintures, ni de larges brosses, mais des réserves significatives de crayons de couleur de haute gamme, répartis par couleur.
Un crayon concentre les qualités d’une fabrication artisanale exigeante associées à un plaisir sensuel évident, lié à l’odeur du bois qui enveloppe la mine, la précision de la couleur et l’élégance de l’objet. Mais nous savons que ces crayons qui suscitent notre admiration sont destinés à leur destruction et aux traces qu’elle laissera.
Le travail commence par le choix du support. La toile, de format différent,est devenu champ d’investigation de la couleur. Souvent monochrome, le pigment constitué par d’infimes brisures de mine recouvre la surface, déposant une poussière veloutée, piégée par une très fine colle. L’opération, lente et précise, se renouvelle jusqu’à atteindre la densité de couleur ou de matière souhaitée par l’artiste. Certaines variations peuvent susciter des formes, géométriques le plus souvent, absorbées ou révélées par la lumière. La palette de certaines toiles, plus variée, peut faire apparaître plusieurs couleurs distinctes ou nuancées.
Le choix du procédé - extraire la couleur de la mine du crayon en le taillant - traduit la volonté de détourner un médium destiné, au départ, à tracer un trait ou à recouvrir une surface par des traces colorées, selon ce qui est habituellement associé au dessin. Le résultat de ce détournement est, dans le cas d’Helga Stüber- Nicolas, d’aller vers des surfaces picturales par des moyens qui ne le sont pas. En ce sens, il hérite et prolonge les transgressions des artistes contemporains issues des nouveaux réalistes, ou même de support/surfaces qui ont rendu manifeste ce que les techniques traditionnelles dissimulaient.
La répartition de ces poussières de mines colorées est contrôlée pour obtenir des compositions « abstraites », disposant par exemple les couleurs par bandes horizontales ou selon des formes en damier ou encore des « all over ». Ces compositions par leurs effets de couleur, de matière ou de spatialité élargissent le champ des références vers l’impressionnisme ou les « colors fields » de Rothko et d’autres.
Dans l’usage traditionnel du crayon, la trace laissée est quasiment sans épaisseur, dessinant un contour plus par sa couleur que par sa matière ; ici, au contraire, la matière de la mine impose sa densité, allant de surfaces épaissies jusqu’à de véritables reliefs. Il s’agit à la fois d’expérimenter les possibilités du matériau et d’agir sur l’espace.
Il y a, avec le jeu qui l’accompagne, un incessant déplacement du figuré au littéral, du dessin à la peinture, du trait à la surface, de la couleur à la matière, du lisse au relief, de l’imprévu à l’ordonné.
Dans les œuvres en volume, même si les matériaux de départ sont les mêmes, les principes et leurs effets sont différents : le volume (souvent, mais pas nécessairement, des sphères) est donné comme tel, avec ces surfaces comme écaillées qui diffractent la lumière sur les traces de couleurs du bois des crayons. L’ « illusion » qui, ici, subsiste est de pouvoir obtenir des volumes pleins, avec de fines raclures de bois, comme une sorte de fractalisation du volume. Ces expériences sensibles se prolongent au travers de collages, reliefs sur papier et dessins, voire d’installation, toujours au travers du même médium. La série de traces de crayons sur papier renvoie à un usage plus habituel de la mine, imprimant sur le papier des traits colorés mélangés à de la colle. Il en résulte des gestes freinés, parfois interrompus.
L’unité et la pertinence de ce travail résident dans la déclinaison de formes multiples, tantôt minimales, tantôt baroques, inspirées par la nécessité d’utiliser exclusivement le crayon. L’outil qui est destiné à s’effacer devient ici l’élément essentiel, constitutif de l’œuvre, à travers sa matérialité et non plus sa fonction. L’œuvre, dans son sens le plus large, est à percevoir d’abord comme un processus de transformations.
Marie-Caroline Allaire-Matte